Les photos de Marc Nicolas privilégient souvent des espaces vides, ou plutôt vidés de présence humaine. Mais l’humain n’y est jamais loin, au bord du cadre et sur le point d’y entrer. Et l’humanité́ y est présente partout par l’architecture, des objets, de la technologie, témoignages concrets de son appropriation de l’espace naturel.
Cette photo ne fait pas exception à la règle. Le guichet vert fermé et le manège recouvert de sa bâche jaune signalent une activité́ humaine en sommeil, attendant l’ouverture du manège et l’arrivée des enfants. Il est possible que Marc Nicolas ait pris la photo de ce manège saisi dans un moment non fonctionnel, ne fut-ce que pour l’harmonie colorée de ces masses jaune et verte parfaitement complémentaires. Mais il est évident que ce qui a attiré́ son attention c’est ce petit cheval de bois surgi par effraction de sous la bâche, pour s’évader du manège. Bien sûr, le cheval n’a pas pris la poudre d’escampette tout seul. Après la fermeture du manège quelqu’un est venu soulever la bâche pour voir ce qu’il y avait en dessous. Mais ce n’est pas sur le mode de la causalité́ rationnelle qu’on perçoit cette photo, c’est sur celui de l’effet poétique qu’elle produit.
Cette photo avec son petit cheval espiègle est presque joyeuse, mais tout est dans le « presque ». Juste après cette première impression, nous ressentons tout autre chose. Le cadrage au grand angle dynamise l’espace mais c’est une dynamique figée, sans vie, comme si la photo saisissait au vol un monde arrêté́, immobile. On n’a pas l’impression ici que l’éclipse de l’humanité́ soit temporaire, comme sur d’autres photos de Marc Nicolas, mais qu’il s’agit d’une absence définitive. Il règne sur cette vision crépusculaire du jardin du Luxembourg un silence de fin du monde. Comme si le petit cheval n’ayant plus de fonction, las d’attendre en vain le retour des enfants, avait décidé́ de reprendre sa liberté́. C’est un cheval de l’Apocalypse, portant sur son dos le plissé pesant et fantomatique de la bâche, témoin de son ancienne vie dont il va se défaire pour aller parcourir un monde d’où̀ l’humanité́ s’est volatilisée. Il ne reste plus ici que l’écho des plaisirs enfantins d’autrefois dont témoigne le petit cœur jaune peint sur la selle du petit cheval blanc qui s’en va.
Stéphan Krezinski