Les photographies de Marc regardent le monde. Des détails du monde, des éclats du monde. Certaines découpent. D’autres révèlent. Des signes, de la beauté, du sens, une abstraction, un au-delà. Mais aussi un secret. Son secret à lui. Pour moi, ses images le révèlent lui, son abstraction à lui, son au-delà à lui. Je ne suis pas « critique », je ne suis pas « spécialiste », je ne suis pas « analyste ». On peut certainement voir dans ces images des références, une filiation, je pourrais essayer de commenter, d’être intelligente. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Quand je regarde ses images, je le vois lui regarder. J’imagine le mouvement, la sensation, l’idée qui a créé le geste, le déclencheur. Je ne l’ai pas beaucoup connu. Mais chaque rencontre, chaque échange m’ont paru essentiels. Pour lui peut être pas. Mais peut-être. Les 2 rencontres principales, c’est lui qui les a provoquées. Je les vois aujourd’hui de la même nature que son geste photographique.
Déclencheur rencontre numéro 1 : 1999, dans une librairie. Il vient vers moi car il a aimé un de mes films. On prend un café.
En découvrant aujourd’hui ses images à lui, je comprends son geste vers moi. Je comprends que son regard sur les choses croisait d’une certaine façon le mien. Par exemple cette image prise à travers la vitre d’une voiture bleue, fauteuil bleu, ceinture de sécurité qui croise. Presque rien. Et pourtant pour moi, c’est tout. Toute l’humanité, sa prévoyance, sa désolation. Il l’a vu, je le vois aujourd’hui le voir, et je me dis voilà pourquoi on se comprenait, un peu, je crois.
Déclencheur rencontre numéro 2 : environ 10 ans plus tard. Marc m’invite à la FEMIS. Pas de conversations en l’air, chaque rendez-vous était comme un acte, un échange de visions. Je le regardais faire. Diriger. Tenir sa conviction. Doucement ferme. J’étais admirative et fascinée car j’étais l’inverse. Convaincue aussi mais pas calme. Pas nuancée. Brute. Ça l’amusait j’imagine. J’avais souvent l’image de moi en cheval sauvage, en « maverick » comme il aurait dit, et de lui en cowboy dompteur bienveillant.
Je pense maintenant en voyant ses images à lui qu’il me « cadrait » au sens photographique du terme.
Rencontre n°3 : La dernière fois que j’ai vu Marc il montrait un film qu’il aimait à l’invitation de quelqu’un, je ne me souviens plus du contexte exact, mais c’était au LOUXOR. Le film a commencé, c’était LE PORT DE L’ANGOISSE d’Howard Hawks.
Comment, pourquoi parmi tous les films de sa vie, avait il choisit celui-là, à ce moment-là, alors qu’il se trouve que c’est mon film préféré, le film fondateur de mon rapport au cinéma, à l’amour et à l’engagement ?
Mystère. Je n’ai pas eu le temps d’en parler avec lui. C’est ce mystère que je continue à sentir dans ses photographies et qui réouvre notre dialogue.
Ce que je cherche à définir par ces mots maladroits, me semble résumé dans cette image d’une tasse de café, posée sur une table nette dans un jardin flou, avec un motif léger de feuillage bleu sur la porcelaine qui fait écho délicatement et ironiquement à la nature plus dense, indifférente de l’arrière-plan. Rien de spectaculaire. Rien d’exotique. Et pourtant…Tout est là. Tout le secret de Marc. Tout un être, dans un regard. Dans ce regard, de la lucidité, de l’humour, de la sensibilité, Mais aussi de l’infini. Infinie solitude et infinie espérance, ou peut-être plutôt croyance… fragilité d’une émotion qui a eu besoin de capturer cet instant. Et solidité, courage, du geste déclencheur qui se dit « ils verront ». Ils comprendront. Ils sentiront.
Je ne sais pas très bien le dire, pas très bien l’écrire, mais oui je vois. Je comprends. Je sens.
Laëtitia Masson